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La création à chaque instant
2 août 2014

Nice- Château de Cagnes sur Mer : 24 kilomètres aller-retour

 

 

Printemps 2014 266

Alexandre Poussin parle de mettre moins de choses dans sa vie mais plus de vie dans les choses. Et il n’y a besoin de rien d’extraordinaire à démarrer tout de suite. Qui nous empêche de faire quoi ?

La méditation nous apprend à balayer en douceur toutes les pensées qui viennent s’imposer à nous et nous distraire de l’être là. C’est une merveilleuse initiation pour le quotidien. Observez-vous une journée : combien de temps passons-nous à nous occuper d’inutile, à gamberger sur les histoires des uns et des autres, à éprouver des sentiments tels que l’envie, l’amertume, la nostalgie, la jalousie, autant d’instants consacrés à la soit disante impossibilité de vivre. Tout ce qui nous arrête, nous freine, nous empêche de… parce que nous n’avons pas ceci ou cela, parce que nous n’avons ni les outils ni les moyens.

Jodorowski raconte à ce propos l’histoire de ce jeune peintre chilien qui écrit à un peintre de renom pour lui demander de l’aider financièrement à s’acheter du matériel et le peintre de répondre que si le jeune aspirant souhaite vraiment peindre, il peut le faire avec ses excréments. Que la nécessité de peintre n’attend rien et ne dépend de personne.

 

Partant de là, pour moi qui ressens si fortement le besoin de voyager mais qui n’ai pas les moyens actuels pour réaliser mes envies de voyage, suis-je condamnée à rester voyageuse immobile ? Qu’est-ce que le voyage sinon partir. Aujourd’hui, nous nous décidons donc avec mon ami Thomas pour une escapade à Cagnes sur mer à pied, by fair means. Rendez-vous pris à 10h00 devant le Negresco avec Thomas qui arrive de Paris et  à qui, lorsque je lui ai  proposé cette échappée, a répondu simplement : « carrément ! ». Heureux les êtres curieux et jamais blasés !

 

Nous décidons de suivre la Promenade des Anglais. Nous ne nous sommes pas vus depuis quelques mois, rien de tel que de marcher trois heures pour  débriefer les mois écoulés ! La marche comme énergie de partage. Ce chemin, il n’a rien d’extraordinaire, on peut d’ailleurs le suivre à vélo puisqu’une piste cyclable a été prolongée de Nice à Cagnes depuis quelques années. Beaucoup l’empruntent, nous nous en rendrons vite compte et je regrette un peu que les cyclistes aient tendance à abuser de leur sonnette comme avertisseur imposant au marcheur sans arrêt de s’écarter de sa route.

 

Nous arrivons à l’aéroport et déjà je suis surprise par sa proximité avec la ville, c’est encore plus flagrant quand on y va à pied. Combien de taxis ai-je payé à des prix exorbitants pour pouvoir décoller à l’aube quand les bus ne sont pas encore en service ! Jusqu’à Saint Laurent du Var, l’environnement est familier mais sur le Var, nous sommes happés par cet air de petite Camargue qui s’étend sous nos pieds. Accoudés sur la balustrade du pont Napoléon III, sous nos pieds nagent d’énormes poissons noirs dans une végétation semi marécageuse. Le Var signifie « eau », et ici, nous sommes à l’embouchure, l’endroit exact où l’affluent rejoint la Méditerranée dans un courant électrique car en effet, le mois de Juillet a été pluvieux sur la Côte, le temps pas franchement estival et on peut encore distinguer des plaques de neiges sur les sommets alpins. Ce fleuve est la séparation géographique entre le comté de Nice et la Provence. Sur la rive Est, on mange la Socca, à l’Ouest, on commence à fabriquer la  Pompe à huile.

 

Si cette route est bien connue des Niçois, nous l’empruntons régulièrement et même quasi quotidiennement, la marcher lui confère un air complètement nouveau. Il faut dire que bordée par une portion de route où la vitesse moyenne avoisine les 70km/h et se situant a priori dans un no man’s land dont l’écho alentour s’appelle Cap 3000, toute la zone commerciale vient défigurer ce qui devait être un lieu d’escale pour les oiseaux migrateurs, il n’y a pas vraiment de raison de marcher ici. C’est en partie ce qui rend le lieu excitant. Dos à la mer, ce sont les Alpes, mais d’abord au premier plan, le Baou de Saint Jeannet et le Col de Vence, déserts détonnant sur une Côte surpeuplée et sur bétonnée.

 

Je suis en train de les photographier quand Thomas s’exclame que quelque chose d’étrange se passe sous le pont. En effet, un bouillonnement suspect se met à troubler l’eau en un endroit unique et forme à présent un geyser. Puis le bouillonnement s’apaise soudain et on réalise que les énormes poissons de tout à l’heure sont tous regroupés autour de ce geyser. Un égout qui rejaillirait ici ? Des Poissons nourris à la merde humaine et des oiseaux prêts à s’en régaler qui déjà tournoient ? Le bouillonnement se calme puis reprend, cette fois je le filme décidée à en découdre en rentrant pour comprendre de quoi il en retournait.

 

Plus loin, c’est le port de Saint Laurent, autre lieu défiguré par les restaurants et bars en préfabriqués, mais loin de la débauche débilitante des soirées, le matin, la traversée est agréable et reposante car on quitte un instant le flot des carlingues bruyantes sur la prom’.

 

On arrive finalement assez vite au Cros de Cagnes, là c’est l’iode, les voix des baigneurs, les odeurs de crème solaire généreusement étalée sur les peaux et l’appel des vaguelettes clapissant à quelques mètres sous un soleil mordant mais je n’ai pas pensé au maillot. Le but étant de rejoindre la colline du château.

 

On coupe par les terres peu après l’église des pêcheurs. Enfin sur les bas de Cagnes, après trois heures de marche, nous tombons sur  les touristes descendant des assiettes de petits farcis niçois, de pissaladière et de beignets alléchants mais nous poursuivons nos efforts vers la montée du château,  qui se déverse en pentes raides nous rappelant que le but se mérite. Nous grimpons jusqu’à la place centrale où nous nous attablons enfin à une terrasse pour siroter pour ma part quasiment deux litres de menthe à l’eau. Nous ne sommes pas fatigués, nous sentons les 12 kilomètres dans les jambes mais seulement comme une petite chanson des muscles qui ont été sollicités quand ils n’y sont plus habitués. C’est presque agréable et nous ne sommes pas inquiets à l’idée qu’il nous faudra en fin de journée répéter le trajet retour.

 

Notre table fait face au col de Vence. Derrière nous, la tour du château.  Il y a  tant de plaisir à savourer d’être là par l’énergie de soi. C’est bien différent que d’y arriver en voiture pour visiter, ce n’est même pas comparable. Nous avons « vécu » chaque  millimètre qui nous sépare de Nice,  lu, observé le paysage à l’aune de la lenteur du pas humain. Je me dis que ça fait longtemps que je n’ai pas eu cette sensation de voyager. Ca peut faire sourire mais j’invite quiconque a l’habitude de prendre un véhicule sur 12 kilomètres, de faire le trajet à pied et de constater par lui-même. L’espace et le temps ne sont pas du tout appréciés de la même manière, et c’est bien la relativité qui le dit avant moi ! Du coup, nous aussi nous ne sommes pas du tout habités par le même temps, j’ignore combien de temps exactement nous restons sur cette terrasse mais nous la quittons quand notre corps est complètement satisfait du repos, de la vie, de la fraîcheur des boissons et surtout, quand il est enfin restauré, ce qu’il est avec très peu car la marche coupe la faim, à moins que l’on se nourrisse autrement.

 

Quand nous sommes enfin reposés, nous entrons dans le château où une exposition d’art moderne se tient. Elle commence par quelques cabines devant lesquelles sont installées des marche pieds, et qui, lorsque nous y montons et que nous glissons nos têtes dans les ouvertures prévues à cet effet, nous reflètent à l’intérieur en tous ces mythes modernes que sont la pin up et l’homme body buildé.

 

Au rez-de-chaussée, les oeuvres trouvent leur place dans un bric à brac d’objets consacrés à la fabrication de l’huile d’olive, nous n’avons pas vraiment réussi à comprendre la logique des objets entreposés, mais c’est très bien comme ça de circuler entre une meule, un pressoir, une broyeuse et une grenouille en céramique sur fond végétal grossier dont on ne sait plus dire si elle fait partie de l’expo ou d’un vieux décor du château. Une salle entière consacrée à une chanteuse des années 20 Suzy Solidor peinte par 200 peintres nous dit l’affiche et dont on peut voir les portraits de Picabia, Dufy, Cocteau etc.

 

Une installation aussi qui m’a particulièrement touchée, Black breath  de Stefano Bombardieri parce qu’elle nous est arrivée d’abord sur fond sonore, alors que nous approchions de la salle où des dizaines  de minis plateformes pétrolières en action, toutes reliées à un humain calciné au sol, rappellent que le sang qui coule dans nos veines est le même que celui de la terre, et que forer le sol, c’est aussi nous appauvrir, nous condamner bientôt à l’inanition, à la mort. Comme cette vanité du même artiste italien la vanité black, ou encore cette autre œuvre Disposable mirors, installée au-dessus des plates-formes, avec de gros révolvers pointés sur nous surmontés de miroirs. Nous sommes les premières victimes des meurtres que nous perpétrons aussi bien à l’égard de la nature que de notre espèce, c’est de toute façon, la même chose.

 

D’ailleurs, assez amusant, en redescendant du château, un petit clin d’œil à cet artiste à nouveau, nous avons longé la Cagne où des oiseaux inconnus et poissons géants se côtoyaient, et arrivant sur le bord de mer, nous sommes tombés nez à nez avec un  Il peso del tempo, œuvre de l’artiste que nous avions vue en miniature au musée et qui était exposée ici en version géante. Le temps, c’était vraiment la donnée à méditer après cette marche.

 

Retour donc, nous savons maintenant que nous repartons pour trois heures, le temps s’écoule en sueur, en muscles brûlants, en course du soleil  et quand nous atteignons Nice et que nous nous arrêtons pour boire à l’angle de la promenade et du boulevard Gambetta, les kilomètres brûlent le muscle à vif. C’est franchement douloureux mais pas à s’en plaindre, c’est aussi douloureux que la douceur d’avoir parcouru ce chemin et d’avoir eu le sentiment de voyager dans un autre espace temps, et si partir c’était vraiment changer notre rapport au temps et à l’espace ?

 

Sentiment qu’il est impossible d’éprouver autrement que par la marche. Aucun avion, aucune voiture, ne peut nous donner ce sentiment de l’espace dans les jambes, de la route.

Pour l’anecdote, je me suis réveillée le lendemain matin de bonne heure, cassée comme une petite vieille, et c’est seulement quand je me suis mise à marcher que tout mon corps s’est détendu. Le remède à la marche, c’est donc encore la marche !

 

Vanessa

 

Pour en lire davantage sur l’exposition au château de Cagnes sur mer

http://ficanas.blog.lemonde.fr/tag/stefano-bombardieri/

 

 

 

 

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